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"ré-enchanter le monde" : le MEDEF entre conte de fées et monopole hiérocratique (septembre 2005)

En septembre 2005, Denis Kessler plaçait l'Université d'été du MEDEF sous le thème du "ré-enchantement du monde". Cette référence explicite à Max Weber est passée quasiment inaperçue au profit de l'occasion fournie d'affubler la nouvelle présidente du MEDEF de "Fée Clochette". Pourtant l'invocation de cette figure illustre de l'Economie-politique par les représentants du capitalisme moderne suscite interrogation. Pour Weber le "désenchantement du monde" est corrélatif de l'essor de l'attitude rationaliste en Occident et notamment de l'esprit du capitalisme. La raison n'est pas le propre de l'Occident mais nul part ailleurs avant le vingtième siècle, nous dit Weber, elle s'est développée de manière aussi systématique dans tous les aspects de la vie des hommes : religieux, politique et surtout économique. La prégnance de la raison s'est accompagnée d'un recul de la magie, de ces croyances qui font reposer la bonne fortune sur un oracle ou la promesse de rédemption à ceux qui feront pénitence. Voilà en quoi Weber parlait de "désenchantement du monde". Le développement de l'éthique protestante et de l'esprit du capitalisme à partir du 16ème siècle ont contribué à "rationaliser" le monde et à le vider de ses "enchantements" ou plus certainement à les remplacer par d'autres... De fait, la recherche rationnelle et systématique du profit est l'un des traits spécifiques qui servent à Weber pour caractériser l'Idéal Type du capitalisme moderne occidental. Le paradigme de "l'homo economicus" si important pour la pensée comme pour l'activité économique contemporaine viendrait attester cette proposition. Il y a, donc, une contradiction apparente, de la part des représentants du capitalisme français à vouloir se départir de ce qui est au principe même de leur activité.
Comment, alors, comprendre cet appel du MEDEF à "ré-enchanter le monde" ? S'agit-il de réintroduire de la magie dans la vie des hommes et l'activité économique, auquel cas le sobriquet affublé à Laurence Parisot serait d'une port´e prométhéenne considérable. Est-il question d'abandonner la recherche rationnelle et systématique du profit ? Ou bien, faut-il y voir, plus certainement, l'expression d'un programme de réflexion et d'action, plus politique, visant à répondre aux boulversements de l'organisation politico-économique de nos sociétés contemporaines ?
La réponse est sans doute à rechercher chez l'inspirateur de cette formule. Au moment où écrit, il existe pour lui deux sortes d'autorité qui structurent profondément les sociétés occidentales : l'Etat et l'Eglise, même s'il reconnaît que cette dernière est en déclin. L'Etat pour Weber se caractérise notamment par le monopole légitime de la violence physique, alors que l'Eglise détient encore le monopole hiérocratique ; c'est-à-dire des chances symboliques de salut. De facto, le processus de désenchantement du monde tend, du moins en Occident, à la réduction comme peau de chagrin de ce monopole hiérocratique.
A quoi donc prétend cet appel au "ré-enchantement du monde" dans un évènement aussi symbolique que l'université d'été du MEDEF, si ce n'est, même sans le vouloir, à réintroduire une visée hiérocratique ? N'est-il pas, au fond, question de substituer l'ancienne magie religieuse par ce "nouvel esprit du capitalisme" avancé par Luc Boltanski et Eva Chiapello, à savoir : la croyance qu'il n'est point de salut en dehors de la santé financière des entreprises, de la création de valeur ? Une bonne santé qui justifie sacrifices et consécration à son entreprise, comme en son temps le puritain à son labeur. C'est donc bien d'une organisation spécifique du monde dont il serait question dans cet appel au "ré-enchantement". En tout cas, ce projet signifie clairement que le capitalisme n'est pas seulement un type d'activité économique, mais comme il a longtemps été dit, à commencer par Weber : un ordre social spécifique.
Cette référence à l'actualité qui pour d'aucun aurait pu rester de l'ordre de l'anecdote permet de mieux introduire l'OpesC. En premier lieu, elle démontre le souci de l'Observatoire à s'inscrire dans son temps et à prendre au sérieux le caractère évènementiel de l'activité économique. Ensuite, cet épisode fait apparaître de manière manifeste les liens constants, même si souvent lâches, entre pratique et théorie économique, justifiant par réflexivité l'ambition de l'OpesC à promouvoir les discours scientifiques. Enfin, cette actualité rappel qu'il n'est pas d'économie sans politique. Faire ce constat ne suffit, cependant, pas à expliquer le phénomène et à rendre compte des mécanismes qui l'animent. Un vaste chantier consistant à essayer de comprendre comment s'organise concrètement, de nos jours, les rapports entre politique et économie reste à explorer.

Tel est le projet de l'OpesC.

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