Le rapprochement entre Alcatel et Lucent peut, à bien des égards, paraître comme l'alliance de deux perdants de la révolution télécoms. Le chiffre d'affaires d'Alcatel a ainsi été divisé par près de deux entre 2001 et 2005, tandis que celui de Lucent a tout simplement été divisé par plus de trois sur la période. Leurs cours en bourse, eux, se sont littéralement écroulés. A quelques jours de la fusion, fin 2006, Alstom convalescent valait plus que son ancienne maison mère Alcatel.
Pourtant, si on se place quelques 30 ans en arrière, les deux sociétés avaient tout pour devenir des leaders mondiaux. Alcatel, issue de la Compagnie Générale d'Electricité (CGE), était non seulement en situation de quasi-monopole dans l'équipement téléphonique en France, mais exportait déjà largement sa technologie de pointe à travers le monde. Quant à Lucent héritière des Bell Labs et d'AT&T, elle a longtemps été l'équipementier de référence dans le monde. Mais les deux groupes ont, dès le début des années 1990, raté le virage de la téléphonie mobile. Alcatel n'est jamais parvenue à imposer sa technologie dans la norme GSM, au profit de Nokia et Motorola et Lucent en s'arc-boutant sur le MCDMA s'est trouvée cantonnée au marché américain dont la norme n'est jamais sortie. De fait les deux sociétés n'ont pu bénéficier à plein de l'explosion de la téléphonie mobile et ont du se contenter de marchés étriqués. La marge de manouvre a encore été réduite, pour Alcatel, par l'orientation "tout mobile" décidée par Serge Tchuruk. Lorsque l'ancien PDG de Total prend cette dramatique décision, la guerre des équipementiers mobile GSM est déjà perdue. Un temps, on pouvait entendre que les seuls marchés de la société dans ce domaine étaient ceux que lui passaient France Telecom, comme aux meilleurs temps du monopole et de la surfacturation. Mais l'achat d'Orange par France Telecom a sonné le glas des ambitions expansionnistes d'Alcatel. A partir de 2000, le grand opérateur français ne fera plus d'acquisition majeure, concourant à l'affaissement du chiffre d'affaires d'Alcatel.
En fusionnant les deux entreprises, Serge Tchuruk espère peut-être qu'ensemble elles parviendront à se rétablir sur le marché de l'UMTS, ainsi qu'en témoigne l'achat de la division mobile de Nortel. Pourtant, n'est-il pas, là encore, en retard d'une guerre ? En effet, l'UMTS n'a jamais vraiment démarré et semble pour l'heure cantonné à un rôle marginal. Les opérateurs de télécoms généralistes s'orientent résolument vers les solutions de réseaux "fixes" aux débits supérieurs (ADSL, fibre optique, WIFI). La publication des derniers chiffres d'Alcatel-Lucent témoignent de la fragilité de la branche mobile. Bien sûr Alcatel pourra répondre présent dans le domaine du réseau "fixe", mais pour ce faire la société n'avait pas besoin de Lucent.
La raison essentielle de ce double échec n'est ni économique, ni technologique, mais normative. Les deux entreprises n'ont su imposer leurs technologies dans le standard technique de la 2G qui a triomphé (GSM). De facto, elles se sont donc trouvées marginalisées sur le marché mondial de la téléphonie mobile et sont depuis engagées dans une course poursuite épuisante.
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